Smart Building : l’ingénierie et le digital au service d’un décret BACS augmenté

Tribune de Jean-Marc Jestin, Directeur Kardham Ingénierie Région Sud et Frédéric Pitard, Directeur Technique Kardham Digital parue dans Smart City Mag le 16 octobre 2024.

 

Le décret BACS est une étape importante vers des bâtiments plus intelligents porteurs d’optimisations énergétiques. Mais rendre les bâtiments plus durables et performants en les mettant en cohérence avec les usages effectifs des occupants nécessite d’aller plus loin. Il faut combiner ingénierie des systèmes et solutions digitales dans une approche globale, flexible, et adaptée à la réalité des parcours des utilisateurs et des besoins des exploitants.

 

Le décret BACS (Building Automation & Control Systems) impose au 1er janvier 2025 aux bâtiments tertiaires dont la puissance dépasse 290 KW (pour les installations de chauffage ou de climatisation et de ventilation) la mise en place de systèmes d’ingénierie d’automatisation des bâtiments pour ces équipements techniques. Autrement dit, le décret impose – comme son nom l’indique en anglais – la mise en place d’un système de Gestion Technique du Bâtiment (GTB). Ce décret, dont l’objectif est de rendre une filière énergivore plus responsable sur le plan environnemental, s’inscrit dans un ensemble plus large de mesures, incluant le Décret Tertiaire, qui impose des réductions d’énergie à long terme pour les bâtiments de plus de 1 000 m², avec des échéances fixées en 2030, 2040 et 2050.

 

Un décret pas encore atteint et déjà dépassé ?

 

Si les systèmes de GTB permettent d’automatiser certaines actions pour rendre le bâtiment plus efficace, par exemple, en programmant l’allumage et l’extinction du chauffage selon les horaires d’occupation des bureaux, dans leur forme actuelle force est de constater qu’ils doivent être améliorés. Fonctionnant sur la base de règles prédéfinies et statiques, ils ne tiennent en effet pas compte des variations dynamiques de la vie des occupants. Ainsi en est-il du contexte du télétravail post-Covid où la présence des collaborateurs varie d’un jour à l’autre. Ces systèmes, souvent installés et paramétrés lors de la construction du bâtiment, avant même que les occupants ne soient présents, ne sont pas toujours adaptés et remis à jour en fonction de la réalité des usages et de leur évolution une fois l’immeuble entré dans sa phase d’exploitation. Face à ces limites, la mise en place de systèmes englobant plus largement les usages tels que des Building Operating System (BOS) interviennent  comme une couche supplémentaire ajoutant de l’intelligence, de la prévision et de la flexibilité au pilotage des bâtiments. Ces nouvelles approchent s’appuient en effet sur la convergence en temps réel de données dynamiques pour ajuster de manière proactive les systèmes techniques aux usages. Une manière d’être dans l’anticipation plutôt que dans la réaction. Le BOS est en effet capable de collecter et d’interpréter des données provenant de diverses sources, à la fois internes et externes au bâtiment. Des données issues des systèmes de GTB, de capteurs, mais aussi des données issues d’applications servicielles, des données météorologiques, des données liées aux habitudes des occupants, ou même des informations sur l’affluence dans les transports. Si la finalité du BACS consiste à mieux piloter les bâtiments, ce pilotage ne pourra donc être efficace qu’en considérant les ouvrages comme des objets vivants intégrés dans leur environnement et qu’à la condition d’une connaissance fine de leurs différents flux.

 

Pragmatisme, flexibilité et collaboration inter-métiers

 

La mise en œuvre du décret est d’autant plus ambitieuse que le taux d’équipement actuel en GTB en France est faible, avec environ 6% des bâtiments tertiaires équipés à fin 2022*. Autre défi, le besoin d’adapter les compétences au sein d’une filière qui a besoin de se former, se structurer et s’étoffer pour installer et maintenir ces systèmes de manière efficace. Gageons que la prise de conscience des enjeux écologiques et l’échéance du 1er janvier soient vues comme une opportunité plutôt qu’une contrainte incitant l’ensemble des acteurs – bâtimentaires et IT – de la chaîne de valeur des bâtiments intelligents à travailler main dans la main au service de cet objectif commun. D’autant que des approches progressives sont aussi possibles pour atteindre les exigences du décret. A titre d’exemple, bien souvent l’un des premiers objectifs d’une stratégie smart building consiste pour une entreprise à connaître la consommation d’énergie en fonction de l’usage fait des ressources du bâtiment par ses équipes. Pour ce faire, l’installation de capteurs sur les tableaux électriques peut constituer un premier pas. Ces données peuvent ensuite être analysées par un BOS pour identifier les zones d’optimisation, permettant de réaliser rapidement des premières économies et ce sans avoir à déployer un système complet de GTB. A cette démarche ciblée, la mise en œuvre du décret fait émerger un autre facteur-clé de succès, celui d’une approche désilotée : la collaboration interdisciplinaire, notamment entre l’ingénierie du bâtiment – qui se concentre sur la conception et la gestion des équipements techniques – et le digital qui s’axe, notamment, sur l’analyse des données. Le BOS joue à ce titre un rôle crucial dans cette intégration en permettant une interaction fluide entre les données et les équipements, optimisant ainsi l’ensemble du système bâtimentaire.

 

La donnée au cœur des bâtiments intelligents

 

On l’aura compris, faire des bâtiments intelligents implique de collecter et de comprendre les relations entre différents grands types de données, liées à l’occupant, au système du bâtiment ou encore à la ville. Si les technologies mathématiques ont toujours existé dans l’industrie bâtimentaire, l’introduction de l’intelligence artificielle (IA) dans les systèmes BOS, par son aptitude à traiter beaucoup plus massivement les données, permet de faire un pas de plus vers l’autonomie des bâtiments. En analysant les données historiques et en identifiant des modèles de comportement, l’IA peut anticiper les besoins futurs et ajuster sans intervention manuelle les systèmes en conséquence. Autre atout de l’IA, elle permet également d’identifier des tendances et des modèles de comportement dans différents bâtiments, ce qui permet de dupliquer des stratégies de gestion énergétique d’un bâtiment à l’autre tout en gardant une flexibilité suffisante pour s’adapter aux particularités locales.

 

Le décret BACS n’est qu’un point de départ vers la construction de bâtiments intelligents et autonomes. Le véritable enjeu est de transformer la filière en un acteur-clé de la transition énergétique, en répondant aux obligations réglementaires certes, mais aussi et surtout en adoptant une vision plus large et plus dynamique des possibilités offertes par les technologies numériques. C’est à cette condition que le bâtiment de demain pourra être performant économiquement, toujours plus responsable et toujours plus aligné sur les usages, capable de s’adapter à des attentes et à un environnement sans cesse en mouvement.

 

*Baromètre OICR 2024